Impérialisme ornithologique et politiques incohérentes

Ça faisait longtemps que je n’avais pas utilisé ce blog pour râler. Ça ne manquait pas. Mais je ne manquais pourtant pas de sujets. Alors en voilà un, d’actualité.

Le banc d'Arguin, vu des Sabloneys

Le banc d’Arguin, vu des Sabloneys

Après avoir passé une journée de samedi au mouillage aux Sablonneys, sous le vent d’une dense, d’une intense et continue pollution sonore générée par la foule des engins mécaniques — jet skis, semi rigides, vedettes plus ou moins démesurées… — s’ébattant dans le chenal de la passe sud, au départ ou à destination du banc d’Arguin. Après avoir compté des grappes de jetskis sur la plage, jusqu’à 13 en bande, et vous voyez comment ils montent sur la plage : sur l’accélération. Maintes fois dans cette même journée, mais le lendemain aussi, et le WE précédent… déploré, les mains sur les oreilles, les acrobaties de ces gros ploucs sur leurs machines, et les runs, poignée dans le coin, d’un bout à l’autre du chenal et retour. M’étonnerait qu’ils respectent la limitation de vitesse dans la bande des 300m de la côte… Et subi le voisinage de jetskis avec 3 utilisateurs ! Autant dire que la machine, elle, ne se repose jamais. Je veux dire : n’arrête pas de tourner, fumer, mais surtout produire ce bruit horripilant. Pouah !

Après une telle marée, donc, qui n’a rien d’exceptionnelle, sauf que je me suis laissé surprendre en choisissant un mouillage sous le vent, sans anticiper cette nuisance totale, je reçois d’un informateur le texte d’un arrêté préfectoral en date du 29 mars 2011, « portant renouvellement de la Zone de protection intégrale de la réserve naturelle du Banc d’Arguin » (pour la capitalisation des mots zone et banc, ne cherchez pas, c’est préfectoral).

Qu’est-ce que la RNN du banc d’Arguin ? La DIREN nous informe que:

La Réserve Naturelle Nationale du Banc d’Arguin, d’une superficie d’environ 2200 Ha, a été créée le 4 Août 1972 sur la commune de La Teste dans le département de la Gironde. Sa gestion a été confiée par le Préfet à l’association SEPANSO.

Le site web de la SEPANSO en dit plus long. Allez le lire, mais j’y reviendrai.

Alors cet Arrêté (moi aussi je peux mettre des majuscules), de mars 2011, est assorti d’une cartographie en annexe (écrite « une carte » c’aurait été moins officiel)

La voilà, cette carte :

Périmètre 2011 de la réserve naturelle d'Arguin

Périmètre 2011 de la réserve naturelle d’Arguin

Deux remarques, de celles qui me font réagir, justement :

Périmètre 1986 de la réserve naturelle d'Arguin

Périmètre 1986 de la réserve naturelle d’Arguin

1° le périmètre de la réserve naturelle, il est gigantesque.

Abusivement gigantesque (j’en profite pour donner mon avis : je suis sur mon blog, finalement).

Non seulement il détermine un territoire quasiment totalement maritime, recouvert soit en permanence — chenaux — soit à toutes les marées et on se demande dans ces conditions en quoi ce territoire submergé participe au nichage des oiseaux, fussent-ils oiseaux de mer. Mais bon, chuis pas ornithologue, moué, un pôv’ plaisancier, hein. Mais en plus, c’est ça, l’impérialisme, il s’est développé « tout seul », ou plus certainement, pour citer l’arrêté préfectoral, « vu la demande de la SEPANSO ». En effet, comparons avec le même plan, annexé à l’arrêté ministériel de 1986, ci-contre. Vous ne trouvez pas qu’il y avait plus de place libre entre la pointe du Ferret et la frontière nord de la RNN ? Alors, quand cette extension de périmètre s’est-elle produite ? Quelle est sa justification ? Quelles sont les évaluations menées pour confirmer sa nécessité et ses résultats ?

Ajout du 25 mai : Bon, renseignements pris, et c’était pas dur de lire le décret de classement en RNN 86-53 du 9/01/1986, « … la partie du DPM sise dans le chenal du Bassin d’Arcachon (…) désignée aux plans annexés au présent décret comprenant le banc d’Arguin et autour de lui une zone d’un rayon d’un mille marin à partir de la ligne atteinte aux pleines mers de coefficient 45, au nord, à l’ouest et au sud et limité à l’est par une ligne fictive située à mi distance entre le banc d’Arguin et la côte, et parallèle à celle-ci. »

La réponse à ma question de périmètre est donc : c’est selon que l’on considère que le Toulinguet (sur l’autre rive du chenal de passe) fait partie du « banc d’Arguin », ou non. À votre avis ?

2° et puis il y a cette ZPI : « Zone de protection intégrale ». Édictée et mise en place il y a quelques années (de mémoire, vers 2006 ?) Dont l’emprise se développe depuis le décret de 86 plus vite que l’inflation, si l’on compare avec les précédentes cartes. On constate grâce à la « cartographie » de la SEPANSO qu’elle interdit l’accès à près de la moitié du banc, dans sa configuration actuelle. Encore des questions sur son opportunité et ses résultats, mais aussi un simple raisonnement. Pas la peine d’aller cherche bien loin pourquoi la densité de bateaux augmente sur le banc, les quelques jours de forte affluence : il suffit de diviser les côtes abordables par 2 pour multiplier a densité par 2 sur le reliquat d’espace. Et voilà comment on fabrique des stats alarmantes sur l’impact des activités de plaisance.

Et pendant ce temps, le kitesurf est toujours interdit dans l’emprise de la réserve naturelle. Déjà en 2005, mon billet dénonçant cette absurdité.

Comme l’indique le site web de l’APC Kite, qui se bat contre cette absurde interdiction :

Depuis 2004, un arrête préfectoral est en vigueur, visant à interdire la pratique du kitesurf autour du banc d’Arguin, dans une zone démesurément grande (1 mille autour de la ligne de marée basse) !!! Cet arrête, à l’initiative de la Sépanso, est totalement abusive et sans fondement. Il ne repose sur aucune étude. Malgré toutes nos demandes de concertations, cette décision a été unilatérale et son caractère arbitraire et injuste est confirmé par la présence tous les jours de centaines de plaisanciers, de touristes débarquant de bateaux de transports de passagers, de jet-skis, d’hélicoptères intervenants sur des sauvetages, d’incendies de bateaux, …

Cette interdiction est notamment bien signifiée à plusieurs reprises dans le Guide de la plaisance et des loisirs nautiques du bassin d’Arcachon, publié par le Préfet de la Gironde. Une très saine et instructive lecture par ailleurs, qui permet de se rendre compte du degré d’amputation auxquelles sont rendues les activités il n’y a pas si longtemps simples et naturelles…

Mais la peau de chagrin peut encore se réduire. Il suffit pour s’en convaincre, non seulement de constater comme vu précédemment dans quelles conditions de transparence et de concertation se produisent les dessins de périmètres entérinés préfectoralement, mais aussi de lire la littérature de la SEPANSO, notamment son bulletin « Sud-Ouest nature » n° 126. D’abord alarmiste et inquiet :

Ainsi, toutes les démarches entreprises et visant à appliquer des statuts de protection importants au Bassin d’Arcachon, au regard de son intérêt écologique pour la conservation de nombreux habitats et espèces, ont échoué.

Le dossier pour la convention relative aux zones humides d’importance internationale Ramsar n’a jamais abouti ; de la même façon, les espaces pouvant être incorporés au réseau Natura 2000 ne sont pas encore entièrement déterminés.

Mais ensuite « optimiste » :

Le Plan de gestion de la réserve a soulevé l’ensemble des problèmes qui viennent d’être évoqués. Adopté par le comité consultatif de gestion de la réserve il prévoit ou propose des dispositions nécessaires pour permettre au Banc d’Arguin de mériter pleinement son appellation de Réserve Naturelle. Les décisions qui vont être prises à court terme vont peut-être révéler quelques bonnes surprises quant à la prise de conscience des enjeux de préservation qui pèsent sur le site et des moyens à mettre en œuvre pour optimiser la conservation des espèces.

Par « optimiser la conservation des espèces », bien sûr, il faut lire : éradiquer les activités humaines de la réserve. Je vous renvoie à mon billet de 2007 Le bassin : une aire marine protégée ?.

Alors, quel responsable aura le courage de restaurer la cohérence dans cette politique de protection ? Pas seulement à Arguin, mais sur l’ensemble du plan d’eau :

– relire le rapport Geomer

– reconnaître une bonne fois que certaines pratiques, certaines activités, certaines embarcations de par leur nature, leurs capacités techniques, leur nombre contribuent plus lourdement aux désordres dont souffre le bassin (comment a-t-on pu laisser se répandre cette vérole de jetskis ? comment peut-on laisser les vedettes de plaisance croiser à 20 voire 30 nds !? combien de milliers de litres de carburant plus ou moins bien brûlé, sur l’eau les grosses journées ? etc. etc.)

– en tirer des règles nouvelles visant spécifiquement ces pratiques, ces embarcations… comment font-ils sur les plans d’eau où il n’y a pas de jetskis ? comment se fait-il que dans le golfe du Morbihan la proportion de voiliers soit encore aussi élevée par rapport à chez nous ? où sont les voiliers ? Ah, oui : sur les parcs de bateaux d’occasion, la faute au manque (paradoxal) de corps morts et au doublement des prix de places au port…

– et ainsi, permettre de relâcher la pression des prohibition, des interdictions, des exclusions… pesant aujourd’hui sans sélectivité sur les usagers du bassin les plus en phase avec la nature.

Actualisation du 3/6/2011 : De mon informateur dans les « instances de gestion », le 26 avril dernier s’est tenue une réunion de la commission de gestion du banc d’Arguin. Outre la présentation de l’arrêté du 29/03 (voir ci dessus), on apprend que, en attente depuis 1 an, le décret portant modification de la réglementation de la réserve sera soumis à enquête publique en fin d’été 2011 pour application en 2012. Ce décret prévoit l’interdiction du mouillage de nuit et la limitation de vitesse à 5 nœuds dans la ZNN. Je n’ai pas bien saisi si ces mesures s’appliqueraient exclusivement aux embarcations nuisibles, ou indistinctement aux voiliers, pinasses, Arcoa 520 et autres bateaux traditionnels, en phase avec l’environnement du bassin. Vous croyez quoi vous ? J’espère avoir l’occasion d’apporter mon grain de sel à cette enquête publique.