Dimanche 21 octobre 2001 : Rater un train sur le Bassin ?

Sept semaines sans naviguer sur l’Iboga ! Le nouveau safran jamais essayé… Frustré du week-end précédent, qui n’avait jamais vu se réaliser l’Avis de Tempête à cause duquel j’avais renoncé à voiler. Météo prise de la veille : fin des précipitations à partir de 12:00, arrivée du soleil dans le courant de l’après-midi et vents force 6 secteur sud-ouest au large, allant en faiblissant. Aujourd’hui, le skipper prend ses responsabilités en décidant de sortir quand-même.

A part un vent fort (29 nds), les critères d’une excellente sortie sont réunis avec, à bord : Alice, Julie, Béné, Nathalie (c’est pour elle, le train de 20:45 à ne pas rater) et Hélène. La basse mer étant à 15:13, le départ est donné à 12:30 de la cale de Claouey pour une virée mouvementée.

Rodéo Lofs

La compétence de l’équipage n’ayant d’égale que l’extraordinaire confiance du skipper, les voiles sont finalement en place (foc n° 1 et GV entière blindée) grâce à l’énergie de Béné et de Julie. Je barre. Il faut reconnaître que c’est pour le moins… technique. Que le bateau va vite au travers avec le courant ! Chenal d’Arès : face aux 29 nds de vent, dans un flux descendant, je n’ai jamais vu de vagues aussi grosse si haut dans le bassin ! Série de virements lof pour lof jusqu’à Graouères. Première option : faire le tour de l’île par l’est, de sorte de conserver du travers-portant ; nous ne sommes pas ici pour souffrir, non plus.

Le Chenal de l’île au grand largue, plus confortable pour l’équipage que la session de près dont nous sortons, est un véritable rodéo ponctué de départs au lof sauvages ; Il faudrait réduire la GV d’1 voire 2 ris mais, dans cet étroit chenal, comment se mettre bout au vent pour la manoeuvre ? J’espère être plus abrité dans Mapoutchette, sur la descente vers Arcachon, pour réduire. En attendant je « gère » l’excès de toile et ses conséquences agitées ainsi que le moral de l’équipage… enfin, je gère plus ou moins. Car au sortir du chenal, le bateau refuse toute autre allure que le près – impossible d’abattre d’un degré – et me voilà contraint de subir plus que capable de gouverner. Ca craint. Bon, dans le Bassin, il ne peut rien nous arriver de plus grave que d’échouer quelque part. Justement, « au sortir du chenal » n’était pas la sortie du chenal, mais l’avant-dernière balise. Il faut remonter la dérive : le bateau navigue maintenant sur quelques centimètres d’eau des hauts de l’île. Jusqu’à plus d’eau. Le bateau s’est installé sur un parc à huîtres désaffecté.

3 heures sur un parc

Quelques tentatives pour déséchouer plus tard – moteur arrière toute, plus perche (qui s’enfonce inéluctablement dans la vase), le skipper annonce à son équipage que, finalement, à force de « gérer », il a résolu d’attendre en ce lieu hospitalier la remontée des eaux prévue 3 heures plus tard. Rien de grave : nous aurons de la pitance à volonté avec les huîtres sauvages qui prolifèrent sous le bateau, le paysage est magnifique avec les Tchanquées en contre jour et le port de l’île en perspective, le soleil s’impose, le bateau ne bouge plus et, surtout, Nathalie ne ratera pas son train, eu-égards aux prévisions réalistes de retour que l’on peut faire en ces circonstances.

Et, de fait, ces 3 heures seront exquises, avec le pique nique autour du carré (beaucoup trop de vent à l’extérieur), le café chaud fabriqué à bord (mon luxe), le ramassage, le désatroquage et l’ouverture d’huître aux formes improbables, les soins aux multiples coupures des doigts consécutives, la chasse aux crabes, les échanges de souvenirs et de pensées et l’attente contemplative de la marée montante. Bientôt, il va falloir quitter ce havre, puisque le train n’attendra pas et que l’eau est là, sous le bateau. Cette fois enfin, le skipper assure en préparant un gréement minimum pour le retour, car le vent est très peu tombé, il faut le reconnaître (seule réelle imprécision des prévisions météo à 12 heures).

« t’inquiète : je maîtrise :-) »

Le retour est comparativement très calme, au bon plein jusqu’à Graouères, au grand largue jusqu’à Hautebelle puis au travers jusqu’à Madonne. Il s’agit de montrer que le skipper maîtrise quand même, aussi, le retour à la plage se fera sous voile ; une très belle manoeuvre en vérité. Normalement. Car un manque à virer (il y a encore pas mal d’embarcations au corps-morts dans l’estey) propulse l’Iboga sur la mate au sud de l’estey de Madone. Echoué ! Pas grave, la marée monte. Et, comme l’héroïsme a ses limites, Mariner, le fidèle hors-bord devra finalement nous sortir de ce dernier mauvais pas. Las ! Il n’y a plus une goutte d’essence dans la nourrice ! Eh non, l’héroïsme n’a pas de limite. Surtout quand il vient compenser une évidente impréparation cumulative. C’est donc en maillot de bain, enfoncé dans la vase jusqu’aux cuisses que je pousse le bateau jusqu’à l’eau avant que de m’y hisser sous les yeux assez inquiets (« t’inquiète : je maîtrise :-) ») de l’équipière d’avant. C’est la dernière acrobatie de la journée.

L’arrivée à la plage est vraiment une belle manoeuvre que je suis fier d’avoir offerte à mes équipières du jour. Il n’y a plus qu’à débarquer équipage et bagages avant que de ramener l’Iboga à son corps-mort, au vent arrière sous voiles. Tiens ? J’ai perdu la gaffe dans la bagarre… Elle n’aura pas duré longtemps celle là. En guise d’épilogue : il reste à ce moment là largement assez de temps pour amener Nathalie à son train de Bordeaux.

J’ai appris que certaines équipières souffraient de courbatures le lendemain. Moi aussi. Qui a dit que ce n’est pas du sport de naviguer en croiseur sur le Bassin ?

Epilogue : il paraît que la train de Paris est parti à l’heure, ce soir-là. Sans Nathalie, retenue par un apéro à Andernos, puis par la sortie du stade de Bx… Alors ça, c’est pas ma faute !!!

Publié originellement sur le site statique des Chroniques de l’Iboga