Dans ce projet de centre d’interprétation muséal à caractère historique1, je suis mandaté comme assistant à maîtrise d’ouvrage pour mettre au point le programme des productions multimédias. Le maître d’ouvrage a besoin notamment de valider la faisabilité des dispositifs en regard du programme technique (le marché étant déjà passé), préciser l’approche bilingue et les options de modes de déclenchements des contenus muséographiques, et réaliser les spécifications de quelques applications interactives.
Le visitorat anglophone potentiel est important et doit être pris en compte. Il s’agit de visiteurs, touristes et résidents, anglais, mais aussi du public néerlandais, flamand et allemand, couramment anglophone. La question de l’opportunité est évacuée facilement : d’ailleurs, le programme de contenus multimédia reflète une volonté de proposer aux visiteurs, pour certains dispositifs, un choix de langue, entre la VO française et l’anglais.
Toutefois la question du multilingue est souvent posée en terme d’interrogation : quelle possibilité de choix ? sous-titrage sur certaines vidéos mais pas sur d’autres ? comment proposer un contenu bilingue sur des dispositifs en boucle ?
En effet, le statut bilingue des contenus doit être pensé spécifiquement selon la nature des contenus :
- (pour mémoire car d’ores et déjà prévus bilingues) textes imprimés — cartels, panneaux muséographiques, signalétique…
- textes écrits diffusés sur écran, projection…
- audio seuls
- audiovisuels
- interface utilisateur de dispositifs interactifs
Pour les voix audio et audiovisuelles, l’intérêt de traduire en anglais, et le cas échéant, le traitement bilingue, vont être différents selon qu’il s’agit :
- de documents — enregistrements d’époque notamment où, non seulement le sens des mots prononcés est important, mais aussi le son de la voix originale est partie intégrante de l’intérêt du document
- de sons d’ambiance, même s’ils comportent de la voix, où le sens des paroles n’a pas d’importance
- de parole, voix off descriptives, dialogues etc. récents (par ex. : documentaires) ou produits spécifiquement pour le musée, pour lesquels le sens des mots est important.
Il faut aussi considérer s’il s’agit :
- d’un dispositif collectif — projection, moniteur, diffusion sonore…
- ou d’un dispositif pensé pour une expérience individuelle
En effet, s’il est facilement de permettre à un utilisateur, seul auditeur ou spectateur, de choisir entre plusieurs pistes sonores, ce choix s’il est proposé s’impose à tous les visiteurs présents, s’agissant de la bande son d’une projection. Mais il reste possible.
Le traitement bilingue lui-même peut prendre plusieurs formes ; toutes n’étant pas nécessairement possibles ou optimales en fonction des contenus :
- le doublage audio : on remplace la piste son en VO par une piste son en anglais
- la voice-over : on cale par dessus la VO une piste en anglais, à la manière d’une interprétation simultanée, de sorte de continuer à entendre la voix d’origine, pour davantage d’authenticité
- le sous-titrage : on incruste en bas de l’écran un texte traduit, et réduit, du contenu audio (rarement employé mais possible aussi à la marge, pour sous-titrer des contenus textes)
- le remplacement : les textes en VO sont intégralement remplacés par leur équivalent traduit, ceci pour les textes de contenus (cartons dans une vidéo, incrustations textuelles et infographiques fixes et animées…) comme pour les éléments d’interfaces interactives
Plutôt que de traduction, on emploiera plutôt le mot « localisation », pour signifier que la conception de la version anglaise du dispositif est non seulement une traduction des mots et phrases, mais aussi porte un soin à ce que cette version soit perçue comme culturellement « soignée » (une traduction basique pourrait sembler négligée aux visiteurs étrangers, ce qui déprécierait leur expérience de la visite).
Ce raisonnement peut être synthétisé dans une matrice d’analyse :
Parmi les choix disponible, chaque option aura des implications sur l’expérience de visite et sur les matériels scénographiques à mettre en œuvre :
- le visiteur doit-il pouvoir choisir la langue ? comment ?
- le choix est-il individuel ; s’impose-t-il aux autre visiteurs sur le dispositif au même moment ?
- comment la modalité de localisation retenue peut-elle influencer la qualité perçue par le visiteur anglophone (et francophone) ?
- quelle conséquence le choix a-t-il sur le mode de déclenchement du dispositif ?
Fonctionnalité : le visiteur doit pouvoir choisir la langue de diffusion
Chacun des 4 options — doublage, voice-over, sous-titrage et remplacement — le permettent. Il devrait être possible de régler le volume de la voice-over.
Pour les dispositifs à écran tactile, le choix peut être proposé par une fonction à l’écran ; pour les autres dispositifs, le système de choix doit être extérieur (boutons-poussoirs, systèmes sans contact… qui envoient la commande au lecteur audio/vidéo).
Combien de langues sont disponibles simultanément ?
Avec le doublage, la voice-over et le remplacement : une langue
Avec le sous-titrage, deux.
Excepté quand le sous-titrage est possible et choisi, le choix d’une langue de diffusion par un visiteur s’impose à tous les visiteurs présents sur la même activité. Il existe cependant une possibilité de fournir simultanément plusieurs canaux audio de langues, à condition que la diffusion ne passe pas par le dispositif muséo (enceintes…), mais par un récepteur individuel, capable de se synchroniser à l’image.
Quelle est la qualité perçue de la localisation ?
La localisation ne peut pas être traitée a minima, au risque de passer à côté de l’enjeu et ne pas tirer tout le parti de l’investissement multilingue. Avec le doublage, assez bonne à bonne ; avec la voice-over, très bonne ; avec un sous-titrage, moyenne (contrainte de lire en écoutant / regardant) et quand le texte est localisée, excellente.
Conclusion : si cette matrice d’analyse permet de dégrossir les options disponibles, indépendamment des aspects budgétaires, la prise de décision sur le multilingue représente un exercice complexe de design d’expérience de visite, assez proche de la prise en compte des enjeux d’accessibilité numérique, d’ailleurs…
Maison natale de Georges Clemenceau, à Mouilleron-en-Pareds, Vendée — Maîtrise d’ouvrage : Ministère de la Culture ; maître d’œuvre : TITAN, Nantes ↩