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« Savoir + », l’angle mort de la médiation dans les dispositifs numérique culturels

#résumé
En matière d’expérience de visite d’une expo, le numérique permet plusieurs scénarios pour proposer au visiteur de collecter des contenus, ses coup de coeur ou l’équivalent de marque-pages, afin d’y accéder à son aise après la visite. Même si cela n’est pas leur vocation première, les dispositifs post-visite permettent de valoriser au mieux les contenus scientifiques et culturels avancés, couramment relégués au « niveau 2 » des dispositifs in-situ.

tl;dr
Comité de pilotage d’une prochaine exposition pour un centre d’interprétation (ça aurait aussi bien pu être un musée d’Art, un CCSTI ou autre). Ordre du jour : le programme du parcours de visite1. Tout le monde est d’accord. Tout le monde ? Presque. Le responsable Scientifique s’inquiète : les objectifs de médiation sont bien modestes, par rapport au corpus ; énormément de contenus très importants ne sont pas utilisés, « le compte (culturel et scientifique) n’y est pas »… Un débat s’engage. Le sujet : du bon arbitrage entre objectifs de médiation et objectifs de diffusion scientifique. Ce que les visiteurs vont peut-être retenir contre les impératifs de la « mission » des gardiens du Contenu. L’axe attention-motivation-rétention (la mythique « mémoire de poisson rouge »). Expérience contre Connaissance…

Daniel Schmitt dans son étude de 2015 « Ce que ”comprendre” signifie pour les jeunes visiteurs dans un centre de culture scientifique » souligne que les dispositifs de médiation ne sont pas jugés pertinents quand ils sont uniquement dédiés à la diffusion de connaissances. Les jeunes visiteurs se déclarent mécontents lorsqu’ils ont l’impression de ne pas avoir compris ou qu’il n’y avait rien à comprendre. Au contraire, « … à chaque fois que les visiteurs font part de leur compréhension d’un dispositif, leur expérience semble associée à un sentiment de plaisir. »
(citation relevée par Ronan German PhD — Cabinet Laurence Chabot Muséographe)

On va devoir trouver un compromis

En général, le compromis va être « pour ne pas sacrifier la médiation (objectif : donner à comprendre), on va désigner les connaissances mobilisées « niveau 1 », ce qui permet, pour satisfaire l’ambition scientifique, de créer un « niveau 2 ». Ce niveau 2, il englobera les connaissances supplémentaires que pourront consulter les visiteurs les plus motivés, grâce à un bouton « Savoir + » très engageant » (légère ironie sur la fin).

Et voilà ! Le projet peut continuer…

La femme à l'audioguide et la femme à l'iphone font écho à la femme à la toilette
La femme à l’audioguide et la femme à l’iphone font écho à la femme à la toilette (photo : fxbodin)

Oui, sauf que, en pratique, arrivés tard dans le processus de conception, nés d’un compromis, ces écrans « niveau 2 » ne vont pas profiter d’efforts éditoriaux, de scénarisation, de design ni de mise en scène, et finalement vont être très peu « consommés ». Quelle catégorie de visiteurs va suspendre sa visite pour lire à l’écran un document certes scientifiquement riche, mais réclamant toute son attention, une prise de notes, des allers-retours entre le document et le sujet ? Si le dispositif est une borne ou un écran fixe, le visiteur plus curieux va-t-il mobiliser la station au détriment des visiteurs qui attendent de pouvoir y accéder ? Si le contenu est dans une appli mobile, la taille de l’écran, la luminosité et l’ergonomie de consultation se prêtent-elles à une lecture satisfaisante ?

C’est alors que l’on peut introduire l’après-visite

Soyons clair : si le numérique est une mine d’opportunités pour étirer le continuum de visite, notamment pour créer une expérience d’après-visite, cette après-visite n’est pas censées récupérer les chutes (métaphore textile) de la muséographie. Ce serait réducteur. Il y a de nombreuses bonnes raisons de chercher à construire une relation dans la durée avec l’ex-visiteur.

Construire l’expérience de visite, et notamment ce qu’il se passe à la fin de la visite et après la visite, c’est entre autres se demander : qu’est-ce que le visiteur sera content d’emporter avec lui ? Le fameux « takeway ». On peut d’ailleurs se poser la question station par station, thème par thème, dispositif par dispositif… Les contenus de « niveau 2 » font des takeway tout trouvés.

Plusieurs raisons justifient de renvoyer le niveau 2 à l’après-visite :
– il engorge la circulation des visiteurs in situ ;
– il mérite du temps, du confort de lecture ;
– il a davantage le statut de document que celui d’expérience.

Les dispositifs numériques permettant de créer le lien entre la visite et l’après-visite sont nombreux. Combinaison de techniques, ils peuvent être fixes, intégrés à des tables, écrans ou bornes multimédia, ou intégrés à une application mobile, à un compagnon de visite interactif, ou encore exploiter les fonctionnalités sans-contact (RFID/NFC).

Cette troisième piste, celle du sans-contact, correspond bien à une approche de la scénographie et de la conception d’expérience de visite, faisant appel au numérique, qui veut privilégier l’attention du visiteur notamment en ne l’encombrant pas d’un appareil numérique.

À suivre…


  1. Dans ce cadre, le programme est défini par une intention générale, un découpage des thèmes d’exposition, une répartition des sujets abordés dans ces thèmes et le niveau des contenus retenus pour la médiation, les principes scénographiques, un zonage, des parcours, le rôle des dispositifs numérique fixes, sans contact et mobiles…