Catégories
e-business

César et les Fablabs : l’open innovation nautique à grande échelle

Un petit dessin vaut mieux que de grandes spécifications
Un petit dessin vaut mieux que de grandes spécifications

Connaissez-vous César Harada ?

Belgo-japonais, mais surtout citoyen du monde, brillant ingénieur impliqué dans de brillants projets, il se découvre une mission pour l’open innovation à l’occasion de la marée noire du golfe du Mexique.

Je l’ai découvert lors de TEDxBasqueCountry 2011, à Biarritz. Son talk passionnant et sa personnalité attachante étaient pour moi et pour Alice ma fille qui m’accompagnait, le point d’orgue de ce TEDx.

Il présentait là son projet Protei : un drone nautique à voile, aux caractéristiques révolutionnaires, développé par itérations de prototypes low cost, plans et mode de construction distribués sous licence Open Hardware… L’année suivante, nous le rencontrions à TEDxParis, à l’Olympia. Toujours aussi enthousiasmant, préparant une thèse de doctorat à Londres — Open Hardware for the Environment — développant la suite de Protei : une station océanographique internationale open source, et le projet Open H2O, base de données collaborative globale, temps réel, sur les océans…

Le mieux pour se rendre compte, c’est de regarder la vidéo de son talk au TEDxSummit de Doha, juin 2012 :

Vous allez comprendre, pour les Fablabs.

Je participais en juin dernier à un atelier de créativité, organisée par Cap Sciences et la mairie de Bordeaux. Le sujet : « Le FabLab, incubateur de pratiques culturelles de demain ! »1.

La première étape de l’atelier, c’est d’imaginer une finalité à « notre » Fablab. Je raconte Protei, César, l’Open Hardware… Ça parle bien au groupe, surtout au membre de la communauté L@bX. Nous nous inspirons donc du projet Protei : en extrapolant les projets de César, nous imaginons de promouvoir la création d’ateliers type Fablab sur le thème des « engins nautiques ». Il s’agirait de faciliter les expérimentations sur le « modèle » de César : détecter un besoin (avec un enjeu plus ou moins global / environnemental), imaginer des réponses techniques, fonctionnelles… innover, designer, prototyper, expérimenter, récupérer du feedback, itérer… et, publier ses résultats en open source, et inspirer d’autres porteurs de projets pour décliner une solution ou repartir sur d’autres enjeux… Ces fablabs seraient plutôt dans des endroits près de plans d’eau.

Comme dit Jean-Charles Zébo, architecte designer, participant à cet atelier, interrogé par Cap-Sciences :

« Le Nautic Lab, c’est un projet très crédible »
« Mon îlot travaille sur un projet de NauticLab. L’idée qui a émergé dans la matinée, c’est d’aider les chercheurs à trouver de nouveaux systèmes de structures flottantes, et propres sur le plan écologique. C’est un projet très crédible que j’aimerais voir émerger. Et d’autant plus si ce projet venait s’implanter sur les bords de la Garonne, puisque le fleuve n’est pas très utilisé. »

Protei in a nutshell
Protei in a nutshell

Comme César a été au MIT, je n’ai pas besoin de vous faire un dessin.2

C’est comme ça que j’adresse à César un email, sorte d’interview, pour obtenir du feedback, valider nos hypothèses et lui demander conseil. Je le croyais à Londres, il était à Hong-Kong !
Les questions : A-t-il entendu parler de telles initiatives, de tels lieux ? A-t-il lui même eu recours à des fablab ? …

Du coup avec le décalage horaire, je reçois sa réponse un peu plus tard. Dans une longue réponse audio, César me donne tous les détails sur sa pratique des Fablabs. En faits, Hakerspaces, Makerspaces et Fablabs sont aux sources du projet Protei. Vous allez voir, c’est riche !

Interview

Q. As-tu entendu parler de telles initiatives, de tels lieux ?

César Harada : Des Fablabs aquatiques ?
Plus que des Fablab : des Hackerspaces et Makerspaces. Des Hackerspaces on peut en trouver partout il y a tout un réseau de Hackerspace qui s’appelle hackerspaces.org
On peut trouver des Makekerspace comme Techshop, dont je vais te mettre les liens. Surtout aux États Unis. Et tu pourras trouver des dizaines et des dizaines de hackerspaces partout autour du monde et beaucoup qui sont sur des villes côtières.

Q. As-tu eu recours à des fablab toi-même ?

César Harada : Bien sûr : le London Hackerspace quand j’habitais à Londres.
Pas mal au Noisebridge aussi.
L’endroit que j’ai le plus fréquenté s’appelle le Techshop à San Francisco.

https://miters.mit.edu, https://www.csail.mit.edu, https://sailing.mit.edu, https://www.chaihuo.org, https://www.dimsumlab.com, https://tokyohackerspace.org, https://blog.safecast.org et ihub.co.ke sont des lieux que j’ai pas mal frequenté.

Le hackaton au Maroc
Le hackaton au Maroc

Après j’ai été moi même impliqué dans la création d’un Makerspace à Nairobi au Kenya. Aussi, sur l’impulsion d’un hackathon qu’on a fait au Maroc que vient de se créer récemment un Makerspace à l’ESITH, une école de technologie à Casablanca.

Q. Jusqu’à quelle échelle un fablab pourrait rentrer dans le processus d’expérimentation d’engins nautiques ?

César Harada : Je pense que c’est une clé absolument nécessaire pour développer de nouveaux engins nautiques.
Justement quand j’étais au MIT, le club nautique du MIT était utilisé par le département de SeaSails qui se servait du club nautique pour ses expérimentations dans la Charles River. Et moi ce que je pense c’est que si c’est vraiment sur les engins nautiques, il ne faut pas forcément créer un nouveau réseau mais plutôt se reposer sur le réseau des centres nautiques qui existent déjà et qui ont la plupart des ateliers de réparation d’engins nautiques.

Adapter, inventer, innover
Adapter, inventer, innover

Q. Pour tes projets, quelles machines as-tu mis en œuvre ? As-tu dû inventer des machines ?

César Harada : J’ai mis en œuvre tout ce qu’on trouve dans un chantier naval, surtout composites, donc les résines fibres de verre, carbone etc. et puis toute la partie électronique.
Donc pas tout à fait comme un chantier naval conventionnel mais on va dire chantier naval composite donc ultra léger, nouveaux matériaux et électronique.

Q. Est-ce que j’ai dû inventer des machines ?

César Harada : On a dû inventer des machines pour maintenir et soulever nos engins qui ne sont pas standard : des ponts roulants un peu spéciaux pour la mise à l’eau etc.

L'impression 3D en pratique
L’impression 3D en pratique

Q. Quel matériaux mis en œuvre ?

César Harada : Moi j’ai un peu travaillé sur tous les matériaux.
On a travaillé en premier sur des bois, avec des résines époxy, des fibres de verre, du carbone. Ensuite on a travaillé sur du gonflable : des polypropylènes, sur des PU… Récemment on travaille sur du polycarbonate vacuumformé (moulé sous vide). On travaille sur des mousses… sur toutes sortes de matériaux.

On a même travaillé sur des matériaux plus naturels : latex, des gonflables…

Q. As-tu eu recours à des fichiers 3D existants ?

César Harada : Oui ! On a travaillé sur des fichiers existants d’architecture navale.
On a aussi travaillé pour la simulation, la fabrication de pièces mécaniques, sur des fichiers qu’on trouve sur des sites comme Thingseverse, sur 3DWarehouse, qui est le répertoire de projets de Google Sketchup.

Et aussi
https://instructables.com, https://fritzing.org, https://github.com, arduino.cc et https://www.adafruit.com

Miniaturisation électronique
Miniaturisation électronique

Q. As-tu pu fabriquer intégralement tes protos ou as tu eu recours à des fournisseurs très spécialisés ?

César Harada : La plupart du temps on a fabriqué nos protos à partir de zéro : on a fabriqué nous même le proto.
Maintenant on passe dans une nouvelle phase de projet ou on va peut-être travailler avec des fournisseurs, en particulier dans la microélectronique, parce qu’on a besoin de composants électroniques miniaturisés qu’il est maintenant quasiment impossible à assembler à la main.
Demain je rencontre Seeeds studio a Shenzhen pour la miniaturitation de notre travail.

Q. Est-ce que ton projet délivre des modèles 3D qui sont utilisables tels quels pour répliquer tes protos ?

César Harada : Pas encore mais, à la fin de l’année on espère avoir ces fichiers là.


Un grand merci à César pour son témoignage détaillé. Et si l’idée de monter — en vrai — un makerspace pour engins nautiques sur les bords de la Garonne, de la Dordogne, ou de la mer, et bien, parlons-en…

Addition du 2/01/2014 : Une excellent introduction aux Fablabs, Makerspaces et autres formules de « laboratoire de fabrication numérique collaboratif » dans Fablab, Hackerspace, les lieux de fabrication numérique collaboratifs

Découverte du 16 janvier 2014 : le Nautic lab existe (bientôt), il s’appelle NavLab, il est à Antibes, son concepteur, Bruno Messin, le veut hybride entre Fablab, avec machines 3D, découpe etc. et espace / atelier de coworking. À suivre sur https://navlab.avitys.com/


  1. Les Imaginaires du savoir : ces journées consacrées à l’émergence de l’économie créative entrainent les participants dans un programme d’ateliers créatifs de co-construction, selon la formule bien connue (?) du « hackaton », sorte de Barcamp orienté vers une finalité collectivement partagée… J’y avais participé en 2011 : « L’utilisateur avant tout«  

  2. Si ? Alors il faut juste savoir que le concept de fablab est né et développé au MIT